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Décarbonons la Culture

Les initiatives

#4 Le transport des œuvres d'art

Publié le 14 mars 2024 | Par The Shifters
Le transport des oeuvres d'art : en quête de décarbonation

Le transport des oeuvres d'art : en quête de décarbonation

Report modal, gerbage, caisse isotherme, assurance…dans cet épisode Valérie Bonnard nous fait découvrir la logistique de transport des œuvres d'art. Une activité incontournable pour que l'on puisse voir les œuvres d'art dans les musées ou dans les expositions. Valérie Bonnard nous partage plusieurs propositions pour continuer à faire circuler les œuvres, autrement.

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Décarbonons la Culture !

#4 Le transport des oeuvres d'art : en quête de décarbonation

Avec

Laurent Baraton, membre du Cercle thématique Culture – The Shifters

Valérie Bonnard, Directrice RSE - Lab EILOA, rédactrice pour le rapport Décarbonons la culture

Décarbonons la Culture ! c'est le podcast qui donne la parole aux professionnels du secteur culturel qui ont expérimenté des actions pour rendre leurs activités plus résilientes face aux enjeux énergétiques et climatiques. Dans cet épisode, nous allons découvrir la logistique de transport des œuvres d'art, une activité incontournable pour que l'on puisse voir ces œuvres d'art dans les musées ou dans les expositions. Et c'est Valérie Bonnard, qui a d'ailleurs collaboré au rapport Décarbonons la Culture ! du Shift Project qui va nous en parler. Cet entretien a été réalisé à distance. Donc merci d'être indulgent sur la qualité sonore et bonne écoute !

00:00:46 : Valérie Bonnard Je m'appelle Valérie Bonnard, je suis co-rapporteur du rapport Décarbonons la Culture du Plan de Transformation de l'Economie Française et dans ma vie professionnelle, je suis directrice de recherche du laboratoire EILOA et je travaille pour un groupement de transporteurs d'œuvres d'art, dont la société Chenue, la société LP Art et la société Sendsio, qui est un groupement d'employeurs qui déplacent les œuvres, les transportent, les stockent, les conditionnent aussi bien pour les musées publics, les galeries que les particuliers.

00:01:22 - Laurent Baraton Merci Valérie. Est-ce que l'on peut avoir des indications techniques sur la façon dont on transporte ces œuvres d'art ?

00:01:28 - Valérie Bonnard Alors quand on parle du transport d'une œuvre d'art, on parle de 3 choses. La première, on parle du conditionnement de l'emballage, donc l'œuvre va être placée dans un conditionnement qui va permettre de garantir sa conservation tout au long du trajet. La plupart du temps, ce transport pour les objets, ou les tableaux, se fait dans des caisses. Ce sont des caisses en bois que ce soit les 7500 caisses qui sont faites par L.P. ou les 4000 caisses qui sont faites par Chenue, ce sont des caisses en bois et contreplaqués qui sont remplies à l'intérieur, en fonction du degré de performance isotherme, de tout un tas de produits qui ont vocation à la fois à absorber les chocs et à assurer une température constante au sein de la caisse. Donc ça peut être du polystyrène, du polyuréthane, du polyéthylène. Le deuxième volet de la mobilité des œuvres, c'est le transport, donc on va parler de transport physique. Là on est vraiment sur une chaîne logistique. Le transport des œuvres d'art, c'est soit du transport par camion, soit du transport par avion. Une société comme la société Chenue, par exemple, c'est en 2021 1 000 000 de kilomètres par transport routier et 2,8 millions de kilomètres par transport aérien.

00:02:48 Auxquels il faut ajouter éventuellement du transport aérien pour l'accompagnement des œuvres au profit de ce qu'on appelle, nous, les convoyeurs. Donc, ils vont accompagner l'œuvre sur l'ensemble de son trajet pour s'assurer que toutes les conditions de sécurité et de conservation sont bien respectées, tout au long du trajet.

Et puis le troisième volet du transport de l'œuvre, c'est du stockage puisqu'on peut être amené ponctuellement ou de manière plus longue, à stocker des œuvres pour le compte des musées ou des particuliers ou au cours d'une exposition, on peut être amené aussi à stocker ponctuellement une œuvre.

00:03:23 - Laurent Baraton On peut faire le constat que le transport représente une part importante de l'empreinte carbone dans beaucoup de secteurs de la culture. Est-ce qu'il y a de votre côté des actions de réduction qui se mettent en place ?

00:03:34 - Valérie Bonnard Le sujet ne va pas se poser tout à fait de la même manière selon qu'on va parler de transport urbain ou de transport longue distance. Sur le transport urbain, on étudie, (on vient d'acheter d'ailleurs notre nos premiers moyens de transport hybrides), et puis on étudie sur la moyenne distance, donc en dessous de 400 kilomètres, la possibilité de passer sur des véhicules hybrides ou biogaz. Sur la longue distance, c'est beaucoup plus compliqué parce que quand il faut faire de l'avion…il faut faire de l'avion. Et donc du coup les moyens d'action qui sont à notre disposition sont assez faibles. Quant au report modal sur le maritime, on l'a testé. Enfin, on a essayé de le mettre en place avec des clients et on n'a pas trouvé d'assureur qui acceptait d'assurer une œuvre d'art sur du transport maritime. Donc, pour l'instant on a vraiment besoin de travailler avec nos parties prenantes et notamment nos assureurs pour essayer de revoir les conditions de transport et arriver à faire du report modal. On ne peut pas passer toutes les œuvres d'art sur tous les types de transport. On le sait très bien, mais si on pouvait commencer à faire du report modal sur une partie ou si on pouvait commencer à revoir les conditions dans lesquelles on transporte, notamment en regroupant les œuvres, ou peut-être même dans les soutes des avions en étudiant la possibilité de ce qu'on appelle le gerbage. A la date d'aujourd'hui, le gerbage est interdit, c'est à dire qu'on n'a pas le droit d'empiler les caisses, les assurances ne l'autorisent pas. Si on pouvait travailler tous ces sujets et les explorer même d'un point de vue scientifique, peut-être que ça serait déjà un premier pas dans l’action.

00:05:12 - Laurent Baraton Alors nous venons d'entendre des propositions d'action très concrètes qui pourraient se mettre en place. Et pourtant, il doit y avoir encore des freins, des blocages pour y arriver.

00:05:22 - Valérie Bonnard La première difficulté, c'est le manque de formation, d'information et d'accès aux données scientifiques et de ce point de vue là, le travail que fait le Shift est vraiment précieux. On travaille avec des conservateurs qui, pour la plupart, n'ont pas eu de sensibilisation aux questions de développement durable dans leur formation, pas plus que les chefs de projet. Tout comme moi. J'ai 46 ans, j’ai été formée, je n’ai jamais entendu parler de développement durable. J'y suis venu très tard. C'est une dimension qui n'existe pas dans les cursus de formation et encore aujourd'hui, il y a beaucoup de jeunes qui sortent des écoles sans avoir cette dimension là en tête, donc autant on va penser à la conservation de l'œuvre, autant on va peut-être pas penser à “tiens, si je regroupe ça fera ça de camion en moins, est-ce que tout ce que je demande est vraiment pertinent ? Est-ce que la caisse isotherme là, elle est vraiment pertinente ? Ou est-ce qu'on ne peut pas prendre une caisse standard parce qu'on va faire un tout petit trajet en intra paris ? Est-ce que vraiment il faut qu'il y ait une voiture avec quelqu'un derrière qui accompagne l'œuvre ou ça peut se faire différemment ?” Voilà toutes ces questions-là elles ne sont pas encore inscrites dans les réflexes de la profession. Et la deuxième difficulté, c'est d'arriver à aligner vraiment les intérêts de toute la chaîne de production d'une exposition autour de l'enjeu du développement durable. Donc nous, on est prestataires, on a un donneur d'ordre qui est le musée, lui-même est souvent dépendant du musée prêteur, donc le musée prêteur va peut-être lui demander des choses que lui-même n'aurait pas forcément demandé. Et le musée prêteur lui-même est peut-être conditionné par ce que ses assureurs lui demandent, et donc on n'a pas encore d'instance dans laquelle on arrive en fait à aligner l'intégralité des intérêts au profit non seulement du développement durable, mais aussi d'une belle expo, parce qu'en fait on est tous des amateurs d'art. On a tous envie qu’on puisse continuer à montrer les œuvres. Le but n'est pas d'arrêter de faire tourner les œuvres, le but est de faire de faire autrement et ça on n'a pas encore réussi à tous bien s'aligner. Mais je reste optimiste parce que parce que ça arrive, ça commence, on voit que ça commence à se mettre en place.

00:07:47 Dans les outils qu'on met en place aussi pour accompagner les clients, on a mis en place ce qu'on appelle des devis carbone, c'est-à-dire que les transporteurs ont l'obligation de chiffrer l'impact carbone des déplacements en aval de la prestation. Nous, on essaye de fournir une estimation de l'impact carbone, du transport des œuvres d'art, caisse plus moyen de transport. L'idée, c'est vraiment de porter à la conscience que c'est pas parce qu'on est dans le secteur de la culture (et c’est ce qu’on a expliqué aussi dans le rapport du Shift) : on croit toujours que parce qu'on est dans la culture… et qu'on parle aussi de culture comme 4eme pilier du développement durable. On n'a pas d'impact. C'est pas vrai, mais ça, c'est pas encore complètement dans les mentalités. Donc en faisant des devis carbone sur le transport, on espère aussi amener les clients à la conscience de ce que chaque exposition a comme impact. Et dans un 2eme temps, pouvoir enclencher une discussion et tester des choses sur un changement de mode de production avec toutes les solutions dont j'ai parlé.

00:08:53 - Laurent Baraton Est-ce qu'il y aurait des liens, des connexions à faire, entre soit des shifters concernés par ces questions, ou soit des personnes qui travaillent dans des institutions et qui sont conscientes de ces enjeux énergie-climat. Est-ce qu'il y aurait des liens à faire entre ces personnes et des actions déjà très concrètes, que vous commencez à mener ?

00:09:11 - Valérie Bonnard Vraiment, si vous entendez autour de vous, un musée, une institution, quelqu'un qui a envie de tester quelque chose, contactez-moi. La 2eme chose que les shifters peuvent faire, c'est nous aider à évangéliser, et donc venez travailler avec nous, partager avec nous via le LAB EILOA, donc le laboratoire de recherche que nous sommes en train de construire pour trouver les solutions de demain et parler aux acteurs.

00:09:45 - Laurent Baraton Et enfin pour terminer, vous êtes directrice de recherche du laboratoire EILOA. Est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots ?

00:09:55 - Valérie Bonnard EILOA est l'Ecole Internationale de la Logistique des Oeuvres d'Art. C'est une association loi 1901 qu'on a créé en fin d'année dernière (2021), dont le but est à la fois de faire des formations (initiales -il y a des CAP- et continues) pour préserver le métier d'emballeur qui fait partie vraiment de de notre patrimoine, de notre histoire, et on crée dans le cadre de cette école un laboratoire qui s'appelle le LAB EILOA, dont on est encore en train de définir les contours, mais qui a vocation à être laboratoire agitateur d'idées, lieu de rencontre… Peut-être que l’on prendra des programmes de recherche. Peut-être que l’on publiera des papiers… On cherche vraiment à faire connaître ce qu'on fait et attirer aussi les gens qui ont envie de venir chercher, réfléchir, anticiper, innover avec nous. Contactez-nous, et ce sera avec très grand plaisir vraiment…

10:57 - Eclairage The Shifters État des lieux - conversation Ce que nous pouvons retenir de cette entrevue, c’est que derrière ce métier peu connu du grand public, et par essence discret, il existe une chaîne logistique internationalisée du transport des œuvres d’art. Ce que l'on ne voit pas lorsque l'on contemple un tableau dans un musée, une foire d’art, ou une galerie, c’est que pour acheminer en toute sécurité une œuvre d’un point A à un point B, il a fallu mobiliser des infrastructures, aéroportuaires et routières, des avions, des camions, et de nombreux intermédiaires. Autrement dit, le secteur des œuvres d’art, comme beaucoup de secteurs de la culture, est très dépendant des flux d’énergie et de transports carbonés.

Cet entretien nous permet de toucher du doigt toute la complexité de cette chaîne logistique. Connaître ces éléments est le point départ pour mieux comprendre comment infléchir la courbe des émissions carbone, tant ce secteur est dépendant en amont de ses fournisseurs et prestataires : des assureurs, des affréteurs maritimes ou aérien, et en aval de ses clients donneur d’ordre : les musées, les galeries, ou les collectionneurs. Ce qui suppose, comme Valérie Bonnard l’appelle de ses vœux la création de différentes instances pour associer l’ensemble des acteurs à la définition d’objectifs communs au secteur.

Cela suppose aussi, de questionner le rapport au temps et à la temporalité du transport dans sa mise en œuvre. La plus grande partie des émissions de gaz à effet de serre qui peuvent être évitées se décide en effet dès la conception d’un projet. Cela signifie par exemple : prendre le temps de questionner ses pratiques, donner du temps pour rendre possible le regroupement des œuvres, ou s’autoriser à faire voyager les œuvres autrement, et pourquoi pas… plus lentement…

Mais pour cela un chantier majeur reste encore à mener : l’acculturation et la formation aux enjeux énergie-climat à tous les niveaux, pour les prestataires de ce secteur. La formation aux enjeux énergie-climat est très présente dans les activités des Shifters, et le secteur culturel est bien sûr concerné.

Comme l’indique le rapport DLC, le monde de la culture est parfois victime d’un trompe-l'oeil : il paraît immunisé ou étranger au problème, alors qu’il est très dépendant de flux de matières et d’énergie pour s’alimenter, se chauffer, et surtout se déplacer.

Les ordres de grandeur Voici quelques ordres de grandeur : D’après les facteurs d’émission moyen de l’ADEME, une tonne de marchandise transportée en avion émet environ 10 fois plus que la même tonne transportée en camion sur la même distance. Prenons un exemple : Si, pour un transporteur, le fret aérien représente en volume les 2/3 de ses flux, contre 1/3 de ses flux pour le routier, alors toute chose égale par ailleurs, le fret aérien contribue à 95% de son bilan d’émission contre 5% pour le routier, puisque l’aérien est beaucoup plus émetteur que le routier. Par conséquent, la réduction des émissions issues du fret aérien est prioritaire pour contribuer efficacement à la réduction des impacts de ce secteur. Évidemment, les autres leviers doivent être mobilisés, mais ne doivent pas contribuer à détourner l’attention de l’enjeu principal, sans quoi les émissions du secteur ne seront réduites que de façon marginale.

Le levier qui peut rapidement amener de gros gains en émission sans renoncer aux longs trajets serait le report modal de l’aérien vers le maritime. Saviez-vous que, en 1962, c’est par la voie des mers que La Joconde a rejoint New York à bord d'un paquebot. De nos jours, outre-manche, la célèbre maison de vente Christie’s s’associe avec un transporteur pour remettre en place des liaisons maritimes régulières Londres-New York et Londres-Hong Kong. Ce qui peut sembler inacceptable aujourd’hui du point de vue de la sécurité ou de la lenteur, pourrait bien devenir dans pas si longtemps la nouvelle norme.

Quelles sont les perspectives ? Pour terminer, voyons quelle est la trajectoire du secteur du transport. Nous parlons ici du transport en général, pas le seul transport des œuvres d'art.

Le secteur du transport a des objectifs de décarbonation définis à l’horizon 2030 et 2050 par la stratégie nationale bas carbone (ou SNBC) dont la version 3 est en-cours d’élaboration. Elle alloue au secteur des budgets carbone ajustés à la trajectoire nationale de décarbonation. Ainsi, l’objectif de la SNBC 2 à l’horizon 2030 vise une réduction de moins 25 % pour le secteur du transport par rapport à 2019. Par convention, ces budgets carbone pour le transport n'incluent pas les émissions issues du transport international de marchandise. Le transport aérien international, pourtant très carboné, n’est donc pas concerné par cette réduction. Dans son rapport annuel, en 2019, le Haut Conseil pour le Climat appelle pourtant à rattacher les émissions générées par le transport aérien et maritime international au budget carbone et à l’objectif de neutralité. Au moment où nous publions cet épisode, début 2024, la version 3 de la SNBC est en cours d’élaboration, et il sera intéressant de voir si elle tient compte ou non des recommandations du Haut conseil pour le climat.

Vous trouverez en lien de cet épisode les différentes sources dont nous nous sommes inspirés.

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Mise en œuvre :En coursStructure :Lab EILOAInterlocuteur :Valérie BonnardThématiques :
mobilitéArts plastiquesralentissementprestataires

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