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The Shifters

Décarbonons la Culture

Les initiatives

#5 My Fair Book

Publié le 23 avril 2024 | Par The Shifters
My Fair Book, la librairie en ligne qui prolonge la vie des livres

My Fair Book, la librairie en ligne qui prolonge la vie des livres

Dans cet épisode, Patricia Farnier et Julie Rovéro nous racontent comment elles ont lancé la plateforme en ligne My Fair Book, une initiative pour rendre le monde du livre plus écologique en évitant la destruction de livres neufs.

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TRANSCRIPTION

#0 Décarbonons la culture, c'est le podcast qui donne la parole aux professionnels du secteur culturel qui ont expérimenté des actions pour rendre leurs activités plus résilientes face aux enjeux énergétiques et climatiques. Ce podcast est réalisé par les shifters, les bénévoles du Shift Project.

Dans cet épisode, Patricia Farnier et Julie Rovero nous racontent comment elles ont lancé la plateforme en ligne My Fair Book, une initiative pour rendre le monde du livre plus écologique en évitant la destruction de livres neufs. Dans le secteur de l'édition, la question des ouvrages pilonnés, c'est-à-dire détruits, est importante. A la fois parce qu'elle témoigne d'un gâchis en ressources et qu'elle interroge sur un modèle de surproduction et de faible valorisation de certains aspects du livre. Parmi les nombreuses composantes de la chaîne du livre, la question d'une meilleure efficacité de la partie diffusion-distribution se pose. Comment orienter l'activité de cette chaîne de valeur vers plus de circularité ? Comment mieux associer les auteurs et éditeurs à une démarche plus vertueuse ? Comment penser le ralentissement et la mise en lumière de nouveaux auteurs ? C'est ce que nous allons essayer de voir dans cet épisode aux côtés des créatrices de My Fair Book. Bonne écoute !

Pour commencer, quelques chiffres clés à avoir en tête concernant le secteur du livre. En France, l'édition occupe 20% des emplois culturels, soit 80 000 salariés. La chaîne du livre est une longue relation d'interdépendance entre des métiers et des acteurs très différents. Auteurs, éditeurs, imprimeurs, distributeurs, libraires. Pour comprendre le fonctionnement et les problématiques du secteur du livre aujourd'hui, il faut noter que les progrès techniques et logistiques des dernières décennies ont permis d'améliorer l'efficacité des flux de production des livres, de distribuer de plus petites quantités à coût réduit et de livrer dans des délais raccourci, ce qui a entraîné un effet rebond sous forme de phénomène de surproduction. Le nombre de nouveaux titres publiés chaque année a triplé entre 1990 et 2016, tandis que le tirage moyen par titre a pratiquement été divisé par deux entre 1995 et 2018. Autrement dit, le nombre de livres différents produits est bien plus important, mais chaque livre est produit en plus petite quantité. Or, aujourd'hui, 70% des ventes se concentrent sur 15% des titres, et les livres produits qui ne sont pas vendus sont retournés chez le distributeur et parfois détruits. Dans certains cas, l'ouvrage a encore un marché et pourrait être vendu plutôt que détruit. Face à ce constat, Julie Rovero et Patricia Farnier, après avoir vécu de multiples expériences professionnelles dans l'édition, ont inventé la plateforme My Fair Book pour tenter de réduire l'impact environnemental du secteur, tout en favorisant la diversité éditoriale.

**Bonjour Patricia, bonjour Julie, merci d'être avec nous aujourd'hui. Dans un premier temps, est-ce que vous pourriez nous présenter My Fair Book tout simplement ? ** #1 My Fair Book, c'est une plateforme de vente en ligne de livres neufs qui a trois caractéristiques. La première, c'est l'économie circulaire, puisqu'on va chercher ces livres dans les stocks des éditeurs afin de leur offrir une nouvelle vie et pour leur éviter le pilon. La deuxième, c'est la bibliodiversité, c'est l'idée de remettre en avant des livres qui n'ont pas eu la chance d'être visibles puisque le temps de visibilité en librairie est très restreint. Et la troisième, c'est la prescription, puisqu'on va donner l'occasion à des gens qui sont peut-être éloignés des librairies d'avoir une découverte sur Internet, ce qui n'est pas toujours le cas. L'idée m'est venue à l'origine parce que je travaillais dans l'édition. J'ai toujours travaillé dans l'édition, plutôt magazine et plus récemment dans le livre. Je travaillais chez un éditeur indépendant. Et au fil des années, bien avant même le Covid, j'ai constaté comme tout le monde que le temps de visibilité en librairie était de plus en plus restreint, ceci étant lié à une surproduction du livre. Et donc il était extrêmement difficile pour un jeune auteur d'être visible. Puis évidemment, en découle un gaspillage phénoménal, puisque aujourd'hui, on pense qu'il y a à peu près 140 millions de livres qui sont détruits chaque année. On a pensé avec Patricia qu'il fallait trouver un modèle pour prolonger la vie des livres plutôt que de les détruire.

#0 **Alors quand on détruit un livre, on appelle ça le pilonnage. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi ça consiste exactement ? ** #2 Le pilonnage, c'est la destruction des livres, et ça représente un quart de la production française, et entre 700 000 et 1 million d'arbres, donc c'est vraiment énorme, et en fait c'est dû à un contexte de surproduction. Il faut distinguer deux pilons en fait. Le pilon qui est au fil de l'eau le retour des libraires tout au long de l'année. Une part très importante de ces retours sont pilonnés. Et puis le pilonnage des stocks dormants une fois par an, les éditeurs qui regardent leurs stocks, qui n'ont pas tourné et qui décident d'en pilonner une partie.

#0 **Pour qu'on comprenne bien pourquoi et à quel moment intervient le pilonnage, est-ce que vous pourriez nous donner quelques clés de compréhension sur le fonctionnement du marché du livre ? ** #1 Donc l'éditeur évidemment édite un livre avec un auteur. Ensuite il y a souvent un distributeur diffuseur qui s'occupe de la commercialisation et donc l'intermédiaire avec les libraires. Et c'est vrai que le marché du livre a cette particularité qui n'existe pas dans beaucoup de domaines puisque les libraires ont un droit de retour. Donc ils achètent les livres mais ils ont la possibilité, légalement c'est entre deux mois et un an, de retourner le livre à l'éditeur et ensuite ça lui est remboursé. Donc c'est un droit vraiment particulier. Et c'est vrai que le distributeur diffuseur propose à l'éditeur ce qu'on appelle le pilon automatique, donc de retour de librairie, et c'est un service qui est gratuit. En tous les cas, il est proposé à l'éditeur de manière gratuite, donc c'est pour ça que quelque part c'est un petit peu encouragé, puisque ce n'est pas le cas si l'éditeur demande un retour avec un tri et le fait qu'il soit remis en stock, c'est un service payant. Et ensuite, si au bout d'un moment il y a trop de stock, c'est une sorte d'amende qui est chaque année émise auprès de l'éditeur pour surstockage. Donc c'est aussi pour ça que l'éditeur, au bout d'un moment, est un peu obligé de se séparer d'une partie de son stock parce que sinon il a des problèmes de trésorerie évidentes.

#2 Et donc nous, My Fair Book Herbeau, on intervient plutôt justement sur ce pilon annuel, au moment où l'éditeur se pose la question de savoir ce qui va pilonner sur son stock dormant. En fait, il y a un droit de retour entre deux mois et un an de présence en librairie, et en fait, dans les faits, quelques fois, les livres reviennent même avant les deux mois, ils ne sont même pas sortis des cartons. Et comme la surproduction est de plus en plus importante, effectivement, le pilon qui suit aussi est de plus en plus significatif.

#1 Ce qui n'est d'ailleurs pas du tout la faute du libraire, bien évidemment, parce que ces murs ne sont pas extensibles et qu'ils se retrouvent avec des quantités phénoménales. Il y a 40 000 nouveautés par an. On a eu beaucoup d'échos de libraires qui se plaignent aussi de cela, parce que pendant un temps, ils arrivaient vraiment à faire une sélection, à défendre les livres. Et c'est vrai qu'ils le font évidemment encore beaucoup, mais c'est de plus en plus difficile pour eux. Ils se retrouvent beaucoup à faire de la manutention surtout, et de la gestion de stock, ce qui n'est pas le métier à l'origine, bien évidemment.

#2 Le pilonnage aussi est très énergivore, puisqu'il représente 12% du bilan carbone d'un livre. Il faut de l'eau, il faut du transport, il faut de l'électricité pour recycler. un livre, pour le pilonner et le recycler. Puis en plus, même si le livre est recyclé, le recyclage, c'est ça aussi une empreinte carbone. Et donc, ça représente 12% du total de l'empreinte carbone du livre.

#0 **Comment est-ce que vous essayez de réduire cette part de l'empreinte carbone du livre avec My Fair Book ? ** #1 L'idée de My Fair Book, c'était de proposer une innovation d'organisation et d'usage par rapport à l'existant dans le monde de l'édition et de la distribution du livre. La pratique quasi-systématique de ce pilonnage des invendus n'est plus vraiment de mise. En tous les cas, il faut travailler sur ce problème de gaspillage.

#2 En fait, on propose surtout de remettre en lumière ces livres qui sont un peu oubliés. On les classe par thématique. On souhaite les revendre, et donc on les vend au prix du neuf aussi pour prolonger les droits d'auteur. Et on souhaite aussi développer le don vers les associations.

#1 Concrètement, on choisit des éditeurs, des éditeurs dont on est assez proche du catalogue. On travaille en direct avec eux. Eux nous proposent une sélection de livres sur lesquels ils ont encore du stock et peut-être sur lesquels ils ont un certain regret. Donc ensuite, ces livres, nous, on les fait tourner au sein de notre comité de lecture et on fait la sélection finale. Une fois qu'on a opéré cette sélection, comme disait Patricia, il y a un gros travail de contenu. de remise en avant pour les mettre sur notre site et évidemment à travers nos différents supports de communication pour donner toute la chance au livre, le raconter différemment, de manière thématique, de donner le plus d'informations possibles pour être comme une table de libraire en ligne et donner envie au lecteur, même à distance, et remettre un petit peu d'humain en ligne.

#2 Créer un ton, un ton My Fair Book reconnaissable, présenter les livres toujours de la même manière. avec des mots-clés, des atouts, un extrait du livre et un pitch avec toujours le même ton pour que nos... clients, lecteurs, puissent s'y retrouver facilement.

#1 Nous, ce qui nous a paru intéressant, c'est effectivement d'avoir quelque chose d'assez facile d'accès quelque part, qui ne se prend pas trop au sérieux, et qui est plus un reflet de nos émotions. Donc quand on raconte les livres, on insiste beaucoup là-dessus, ça ne serait pas très intéressant de refaire une quatrième de couverture. Donc l'idée c'est vraiment d'essayer de transmettre ce qu'on a ressenti en lisant le livre.

#0 **Donc si je comprends bien, au-delà de l'aspect écologique de My Fair Book, L'avantage de la plateforme, si je peux dire par exemple par rapport au livre d'occasion, ça va être de mettre en avant de nouveaux livres et de nouveaux auteurs tout en prolongeant la vie économique du livre. ** #2 La différence avec le livre d'occasion, c'est qu'on vend au prix du neuf et que donc on prolonge les droits d'auteur. Ça, ça nous tenait à cœur. de pouvoir prolonger les droits d'auteur ?

#1 Les droits d'auteur ont été divisés par deux en 20 ans ou 30 ans. Donc il y a évidemment une concentration du marché en plus, puisqu'on a 20% du marché qui est concentré sur 1000 titres. Donc il y a évidemment des auteurs qui vendent beaucoup de livres, mais ils ne sont pas très nombreux. Et donc, à l'inverse, il y a des auteurs qui vendaient peut-être pas mal il y a encore 20 ans. et qui aujourd'hui ont vu leurs droits d'auteur se diviser par deux, liés à cette surproduction bien évidemment dont on parlait, mais liés aussi à un manque effectivement de visibilité, de médias qui, et encore une fois c'est sans jugement, c'est exactement comme les librairies, il y a tellement de propositions que c'est très difficile pour eux de mettre en avant aussi d'autres auteurs, mais c'est vrai qu'il y a souvent les mêmes auteurs qui sont présentés et... Dans les médias, il y a souvent les mêmes auteurs qui sont invités, il y a souvent les mêmes auteurs qui se retrouvent sur les tables. L'idée, c'est vraiment de vendre au neuf, c'est l'idée de prolonger les droits d'auteur qui peut-être en ont besoin.

#0 **Et concrètement, quelle est la logistique à mettre en œuvre derrière le fonctionnement de My Fair Book ? ** #2 Effectivement, on démarche les éditeurs dont le catalogue nous plaît et donc on sélectionne avec eux des livres et avec notre comité de lecture. Une fois que le livre est sélectionné, on travaille avec un logisticien et c'est lui qui va faire les envois, aller chercher par petite quantité les livres chez les éditeurs et faire les envois aux clients, que ce soit en France ou à l'étranger.

#1 Et si on a fait effectivement le choix de la messagerie L'Odyssée, c'est que c'est un acteur du livre depuis les années 70. Je crois que ça fait très très longtemps qu'il travaille dans le secteur. Il ne fait que du livre, c'est vraiment un spécialiste. Et il est en relation avec beaucoup d'éditeurs parce qu'il s'occupe en général des services presse. Donc c'est vrai que c'était un bon moyen de se greffer un petit peu sur ses tournées, puisque de toute manière, tous les jours, il va chercher des livres chez les éditeurs pour les transmettre aux journalistes, soit par coursier, soit par voie postale. Donc on s'est greffé sur ce système qui était déjà existant. Et c'est vrai que même pour les éditeurs, je pense que c'était intéressant d'avoir déjà un acteur du livre.

#2 En fait, un des freins, et je pense que ça ne nous concerne pas que nous, ça concerne tous les gens qui envoient des livres, c'est les coûts postaux d'envoi des livres qui sont vraiment très très importants en France. Alors certes, il y a la loi d'Arcos qui doit arriver, qui devrait obliger les acteurs du livre à... Faire une participation aux frais de port de 3 euros environ, c'est d'ailleurs ce qu'on fait sur notre site, pour ne pas qu'il y ait de concurrence déloyale avec les grands acteurs comme Amazon ou la FNAC qui proposent 1 centime de frais de livraison. Mais en fait, ce qui serait mieux pour tout le monde et surtout pour le consommateur, c'est qu'on baisse les frais postaux sur le livre.

#1 Ce qui est le cas à l'étranger. Pour l'étranger, quand on envoie un livre depuis la France vers l'étranger, il y a un tarif spécial qui s'appelle Livres et brochures, qui a été mis en place pour faire rayonner la culture française à l'étranger. Mais je pense que la bataille, effectivement, elle est là. La bataille du monde du livre, c'est de se battre pour que le tarif soit bien inférieur. Parce que nous, on a beau demander une participation... À nos lecteurs, on éponge une grosse partie des frais d'envoi qui sont très conséquents.

#0 **Précisons que depuis cet échange, la loi dite loi d'Arcos est entrée en vigueur en octobre 2023 et impose désormais un tarif de frais de port minimum de 3 euros pour les commandes de livres neufs de moins de 35 euros. Retour à notre interview. On dit souvent que la culture est dépendante de beaucoup de secteurs d'activité par rapport à son impact carbone. Inversement, est-ce qu'au moment de la création du projet My Fair Book, d'autres secteurs d'activité vous ont inspiré dans votre démarche ? ** #2 On s'est inspiré entre autres d'une entreprise qui s'appelle Pour de Bon et qui travaille dans l'alimentaire, donc directement avec les producteurs de fruits et légumes. Et nous, en fait, on travaille également directement avec les éditeurs. Et en fait, c'est ça un peu la source d'inspiration, c'est d'être le plus proche possible et d'avoir une... Une authenticité, une proximité aussi avec la personne qui produit. C'est vrai qu'on connaît bien les éditeurs qui éditent les livres et c'est vrai que c'est sympa aussi pour le consommateur.

#1 Effectivement, les consommateurs sont assez heureux aujourd'hui de replacer l'humain. Le fait qu'on travaille en direct avec les éditeurs, ça replace l'éditeur aussi dans l'importance de son métier. Et je pense que pour le lecteur, c'est aussi important d'avoir ce lien un peu plus proche et de ne pas avoir d'intermédiaire.

#0 **Comment est-ce que vous choisissez les éditeurs avec lesquels vous travaillez justement ? ** #2 On travaille avec des éditeurs indépendants. On a Alary, Antilope, Atelier Henri Dougier, Canoë, Aux Forges de Vulcain, Jonglaise qui est un éditeur de beaux livres. Qui dame ? Safran, Typhon, et on devrait bientôt en avoir deux autres.

#1 Ce sont des éditeurs indépendants et c'était un choix de notre part pour deux raisons. La première, parce qu'on a évidemment jugé que c'était eux qui avaient peut-être encore plus besoin d'un coup de pouce, parce qu'ils n'ont pas forcément des grosses équipes, que ça va très vite, comme on le disait, ce passage en librairie, qu'ils n'ont pas forcément des grosses équipes pour mettre en place toute la promotion. Et parce que bien évidemment, ils font un travail formidable. On a tendance à dire souvent que les éditeurs indépendants sont les dénicheurs. Donc nous, ce qui nous plaît aussi avec Patricia, c'est de découvrir des nouveaux auteurs, de les mettre en avant et de transmettre ces nouveaux auteurs qui ne sont pas forcément connus.

#0 **Comment est-ce que vous imaginez le monde du livre de demain ? ** #2 Ça serait un monde, justement, idéalement, avec moins de titres et plus de temps pour pouvoir défendre ces titres. Et donc, il y aurait moins de gaspillage. Et en fait, même au niveau des éditeurs, c'est tout à fait souhaitable parce que s'ils vendent plus d'exemplaires par titre, enfin, je pense surtout aux petits éditeurs. Ça leur permet aussi de limiter leurs problèmes de trésorerie. Si on arrive à vendre sur plus longtemps un même titre, on n'a pas forcément besoin d'en sortir un pour combler les problèmes de trésorerie.

#1 Parce que pour expliquer effectivement ce problème de trésorerie, c'est lié au fonctionnement de cette chaîne de livres, puisque comme on le disait tout à l'heure, les éditeurs sont assez riches quand ils sortent un livre, puisque le livre est acheté. mais il ne sait jamais quand est-ce que, si ça va lui revenir, et quand et combien d'exempères il va devoir rembourser. Donc il est un peu obligé de sortir assez régulièrement des titres. pour imaginer pouvoir rembourser des livres qui vont lui revenir. Donc moi je pense que dans un monde idéal, pour les éditeurs, ça serait assez formidable que les distributeurs au niveau des librairies se mettent d'accord pour avoir un outil qui permette pour les éditeurs de savoir quand un livre est vraiment vendu au lecteur final. Parce que c'est vrai que ça, ça crée en plus... Des rapports un petit peu conflictuels entre les éditeurs et les auteurs, parce que les auteurs, évidemment, et c'est bien normal, quand ils éditent un livre, ils veulent très vite savoir si ça marche. Et la seule réponse que peut donner un éditeur, c'est de lui dire qu'il y a tant d'exemplaires en librairie, mais il est incapable de lui dire combien de livres ont été vendus réellement, en tous les cas pendant un certain temps. puisque les livres peuvent toujours revenir. Et donc je pense que s'il y avait une clarté sur la vente définitive, ça permettrait effectivement à l'éditeur de se dire Ah, là, je ne vais pas avoir de problème de trésorerie ou je vais avoir des problèmes de trésorerie.

#0 **Une des pistes dont on entend parler pour aller vers un marché du livre plus vertueux, c'est l'achat ferme, c'est-à-dire que le libraire ne pourrait pas rendre le livre à l'éditeur. On parle aussi d'impression à la demande. Qu'est-ce que vous pensez de ces alternatives ? ** #2 Alors l'achat ferme, c'est un peu à double tranchant, parce qu'effectivement on se dit, si un libraire achète... Achète, ferme ses livres et n'a pas le droit de retour. Il va bien sûr défendre les livres qu'il aura achetés. Maintenant, on risque d'avoir vraiment là aussi un manque de biodiversité parce que le libraire risque d'acheter que des auteurs dont il est sûr de pouvoir vendre les livres. Et il va peut-être, du coup, il va prendre aucun risque. Alors qu'effectivement, le fait de... d'avoir ce droit de retour, ça permet de prendre quand même des risques. Donc c'est un peu compliqué comme question, je n'ai pas la réponse.

#1 D'ailleurs, l'association de l'écologie du livre se pose la question de savoir est-ce que ce serait intéressant de revenir à cette histoire d'achat ferme. Il y a quelques éditeurs qui imposent aux libraires l'achat ferme. Dans un sens, évidemment, on peut se dire que ça limiterait les commandes peut-être et ça donnerait peut-être plus de temps aux libraires. de se battre pour un livre qui lui a plu. Et effectivement, dans l'autre sens, le risque, c'est qu'il soit tenté de prendre essentiellement des auteurs à succès, des prix, et qu'on ait une baisse de la bibliodiversité. Et pour l'impression à la demande, ce qui est un petit peu compliqué, c'est que ça peut être une solution pour le réassort. Mais ça paraît assez compliqué pour le lancement d'un livre, parce que c'est quand même un marché de l'offre, et puis les gens ont besoin de voir. Surtout si c'est encore une fois un auteur qui n'est pas très connu, effectivement. Si on parle d'un mélinotombe, même sans voir l'objet, il sera possiblement commandé directement et puis il peut être produit à la demande. Mais sans être vu, sans être prescrit, c'est assez compliqué. Donc ça peut être le cas sur un réassort, mais c'est pas si simple. C'est un coût déjà qui est plus important. Donc pour des éditeurs indépendants, c'est un coût supplémentaire. Ce n'est pas forcément très écologique non plus.

#2 Oui, parce qu'en fait, les livres qui sont imprimés à la demande sont difficilement recyclables. C'est une encre particulière et pour désancrer, pour recycler, c'est plus compliqué. Et puis, c'est produit sur des ramettes et 50% du papier va à la gâche. Donc, c'est discutable sur le plan écologique, cette affaire d'impression à la demande.

#0 **Et du côté de My Fair Book, quelles sont les évolutions sur lesquelles vous aimeriez vous investir dans les prochaines années ? Est-ce que vous avez déjà quelques idées en tête ? ** #2 On a envie déjà de développer les segments sur lesquels on travaille, puisque là on travaille sur de la littérature générale et on développe aussi les beaux livres. On a juste un seul éditeur, mais on voudrait vraiment développer l'offre des beaux livres et puis développer idéalement la jeunesse, les mangas, les livres graphiques, développer vers d'autres segments littéraires.

#1 Nous, notre but, évidemment, c'est de sauver le plus de livres possible. Mais évidemment, on sait très bien qu'à notre niveau, on est une petite fourmi. Peut-être notre souhait, c'est de donner l'impulsion peut-être à d'autres acteurs de travailler aussi dans ce sens, dans cette éloge de la lenteur, pour que, effectivement, à terme, comme on le disait tout à l'heure, inverser ce phénomène de surproduction par maison d'édition. Parce qu'encore une fois, si l'éditeur vend plus de titres par livre, il va peut-être pouvoir éditer un peu moins, mais mieux.

#0 Merci à Patricia Farnier et Julie Rovero pour cet échange qu'elles nous ont accordé en 2023. Depuis un an, My Fair Book a bien grandi. Le projet compte désormais 18 éditeurs partenaires et le catalogue s'est élargi aux beaux livres, mais aussi aux BD et aux romans graphiques. Julie et Patricia souhaitent l'ouvrir à la jeunesse l'année prochaine. Elles ont également développé un pôle B2B et travaillent avec des entreprises soucieuses de développer auprès de leurs équipes des projets responsables et culturels, comme des cafés littéraires en équipe ou des interventions pour parler de l'économie circulaire dans le livre par exemple. Comme évoqué par le Shift Project dans le rapport Décarbonons la culture les éco-gestes et les mesures de diminution des émissions basées sur les économies d'énergie ont un réel potentiel d'impact pour décarboner le secteur de l'édition et doivent être mis en œuvre dès aujourd'hui. L'ampleur du défi climatique nécessite cependant un changement profond des modes de production et de distribution des livres. Pérenniser la circulation des œuvres et des idées dans un monde décarboné. Un tournant essentiel pourrait résider dans le fait de penser séparément la production de livres en tant qu'objet et la diffusion des œuvres. Ainsi, il faudrait diminuer le nombre de livres produits tout en permettant une meilleure rémunération des différents acteurs de la chaîne du livre et en garantissant l'accès aux œuvres. S'inscrivant dans cette dynamique, My Fair Book présente une solution intéressante, surtout quand on sait que l'activité d'édition, de diffusion et de distribution représente 20% des émissions de gaz à effet de serre d'un livre. Le modèle économique de l'écosystème du livre pourrait par ailleurs s'orienter vers une véritable intégration des ventes d'occasion ou la multirotation des ouvrages, comme les passages en bibliothèque ou les dons de livres. Une économie plus circulaire pourrait ainsi permettre de lire autant de livres mais en étalant le nombre et la quantité. Valoriser le livre lu et non pas le livre possédé. La transition du secteur pourrait aussi passer par l'allongement de la durée de vie du livre en tant qu'objet, en favorisant sa solidité ou en rénovant et re-commercialisant les retours défraîchis par exemple. En parallèle, la réduction des flux d'ouvrage devrait être travaillée en massifiant les commandes pour regrouper les livraisons et mieux remplir les camions. Enfin, la formation des libraires devra être menée et leur dépendance à l'égard des pressions commerciales questionnées, pour leur permettre d'acheter moins, mais mieux. Ce changement de modèle passera probablement par l'augmentation du prix initial du livre, mais qui sera amorti par les multi-usages et la rationalité de leur production. Ainsi, l'agrégation d'un grand nombre de démarches concernant toute la chaîne du livre pourrait permettre de réaliser la transition écologique du secteur de l'édition, déjà engagée par plusieurs acteurs, tout en donnant une occasion extraordinaire de réinventer le rapport aux œuvres éditées.

Le podcast Décarbonons la culture est réalisé par les shifters, les bénévoles du Shift Project. Ce Simtank a un objectif, faire progresser les débats et les actions pour une économie post-carbone, un monde libéré des énergies fossiles et préservé du réchauffement climatique. Décarbonons la culture, c'est lui permettre de garder la place qu'elle a dans nos vies. Vous pouvez retrouver l'ensemble des témoignages sur le site décarbononslaculture.fr A très bientôt pour d'autres initiatives inspirantes.

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Mise en œuvre :En coursStructure :My Fair BookInterlocuteur :Patricia Farnier et Julie RoveroThématiques :
économie circulaireédition, livreralentissementIle-de-Franceplateformes en ligne

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