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#8 Le défi de la transition écologique à l'échelle du Musée d'Orsay et de l'Orangerie

Publié le 11 octobre 2024 | Par The Shifters
#8 Le défi de la transition écologique à l'échelle du Musée d'Orsay et de l'Orangerie

#8 Le défi de la transition écologique à l'échelle du Musée d'Orsay et de l'Orangerie

Au cours d’un échange passionnant, Misty Montéville, chargée de mission RSO pour le musée d'Orsay et le musée de l'Orangerie revient sur les actions de décarbonation mises en place mais aussi sur la stratégie plus globale de transition écologique du Musée d’Orsay et de l’Orangerie.

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Décarbonons la Culture !, c’est le podcast qui donne la parole aux professionnels du secteur culturel qui ont expérimenté des actions pour rendre leurs activités plus résilientes face aux enjeux énergétiques et climatiques. Ce podcast est réalisé par les Shifters, les bénévoles du Shift Project.

Pour cet épisode, nous avons interrogé en 2023 Misty Montéville, chargée de mission RSO pour l'EPMO-VGE. Pas d’inquiétude, on vous explique ! La RSO, responsabilité sociétale des organisations, c'est la contribution volontaire des organisations au développement durable. Autrement dit, il s’agit de tout ce que met en place une entité pour limiter ses impacts négatifs sur la société d’un point de vue économique, sociétal et environnemental. Dans cet entretien, on s'intéressera plus particulièrement à ce dernier point. Et l’EPMO-VGE alors ? Il s’agit de l’établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie Valéry Giscard d’Estaing. Bon, pour simplifier on parlera dans cet entretien de l’EPMO ou du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie. Pour celles et ceux qui n’ont pas eu encore la chance de s’y rendre, quelques mots et chiffres de présentation. Le musée d’Orsay et le musée de l’Orangerie rassemblent des collections qui présentent l’art occidental du 19e siècle avec notamment de très importantes collections de peintures impressionnistes et postimpressionnistes. Vous pouvez par ailleurs y croiser 700 agents permanents, dont la moitié en salle, et environ 4 millions de visiteurs par an. Autant dire que l’EPMO est un gros paquebot, pour lequel la décarbonation constitue un véritable défi ! Au-delà d’une initiative précise de réduction d’impact carbone c’est donc la présentation d’une démarche globale qu’on a souhaitée vous partager ici. Cela nous met face à la fois à d'importantes possibilités de décarbonation mais aussi à des difficultés plus complexes à résoudre...Comment des établissements aussi importants peuvent-ils se mettre en marche ? A quels obstacles sont-ils confrontés ? Quelles sont les spécificités du secteur muséal dans cette transition ? C’est ce qu’on vous propose de découvrir ou de redécouvrir dans cet épisode ! Bonne écoute.

The Shifters 02:24 Bonjour Misty Montéville, merci de nous accorder du temps pour nous parler de la démarche de transition écologique de l'EPMO. Est-ce que vous pourriez nous expliquer pourquoi et comment le musée d’Orsay et le musée de l’Orangerie ont décidé de s’intéresser à leur impact environnemental ?

Misty Montéville Merci beaucoup de cette invitation. Notre positionnement, notre questionnement, c'était de se dire “à quoi sert un musée aujourd'hui ?” Et de se dire surtout, un musée n'est pas figé dans sa période. On est un musée du 19e siècle, mais le but c'est d'agir en tant que musée dans le 21e siècle. Et bien sûr, ça va au-delà de la façon dont on présente les œuvres, mais aussi de la façon dont on va agir dans nos actions pour être un acteur de la société. Il faut à la fois limiter notre empreinte carbone, mais aussi s'adapter aux conséquences du dérèglement climatique puisque de toute façon elles sont déjà là. Et donc comment est-ce qu'on fait aussi en sorte d'adapter notre activité à tout ce nouveau contexte qui évolue ? The Shifters 03:28 Est-ce que ce contexte a déjà des effets sur les musées d’Orsay et le musée de l’Orangerie ? Est-ce que vous avez pu relever des points de vulnérabilités par rapport au dérèglement climatique ?

Misty Montéville On est juste devant la Seine, on est des deux côtés de la Seine. On a déjà des projections qui nous montrent que, à Paris, en 2050, il y aura de plus en plus d'événements extrêmes. Parmi les événements extrêmes, les crues décennales, les crues centennales dont le rythme va largement s'accélérer. Une crue, pour nous, c'est un risque énorme pour nos collections, évidemment. Donc ça, c'est quelque chose qui doit être intégré aujourd'hui dans notre gestion des risques pour nos collections. Il y a un autre enjeu. Pour nous,les touristes étrangers représentent une grande part de notre public. On l'a vu lors de la crise sanitaire. Les déplacements internationaux peuvent se stopper d'un coup. Et nous, on dépend en grande partie, notamment pour nos ressources propres, des publics étrangers, et c'est ça aussi qui fait qu'on doit se questionner sur la mobilité des publics et sur la question des publics qui viennent dans nos musées.

The Shifters 04:44 Dans une institution aussi importante, en taille et en activité, que l’EPMO , la mise en place d’une démarche de transition écologique doit nécessiter une organisation considérable. Comment avez-vous décidé de structurer votre stratégie ?

Misty Montéville Quand moi je suis arrivée, donc en 2020, il y avait un plan d'action qui avait été dessiné par un collectif d'agents volontaires et ce qu'on a souhaité faire, c'était vraiment de reprendre ce plan d'action et de le replacer dans une stratégie plus globale. Ce n'est pas seulement un plan d'action, mais c'est aussi une gouvernance et du coup, de suivre la mise en œuvre du plan d'action. C'est pour ça qu'on a choisi donc de construire cette stratégie RSO, et de la présenter en Conseil d'administration. Comme ça, on officialise vraiment cette démarche et surtout aussi, on s'engage à rendre compte de nos actions devant notre conseil d'administration et ça veut dire aussi devant nos organisations syndicales et bien sûr devant l'ensemble de nos agents. Ensuite, il y a eu aussi évidemment la création de mon poste, c'est un poste nouveau qui n'existait pas avant 2021. C’est un poste dédié sur ces enjeux au sein de notre administration générale. L'administration générale, c'est ce qui est en en charge de tout l'établissement. Et donc l'idée c'était vraiment de placer la RSO comme un peu un pilier qui va ensuite infuser toutes les directions. Et ça, c'était quelque chose qui était assez nouveau parce que dans beaucoup d'établissements, il y avait aussi cette petite tendance à mettre les enjeux développement durable par exemple au sein de la direction des bâtiments ou de la logistique, parce que c'est des choses qu'on lie directement aux enjeux écologiques. Donc là c'est central et ensuite ça va vraiment aller sur toutes les missions de l'établissement. Aujourd'hui, moi je travaille avec des correspondants RSO qu'on a nommés dans chacune des directions, avec l'idée qu'ils font un relais métier sur tous les différents enjeux. Et c'est eux qui vont prendre en charge aussi cette mise en œuvre de notre plan d'action au sein de leur direction.

The Shifters 06:55 Quelles sont les différentes orientations qui guident aujourd’hui votre action et celle des correspondants RSO ?

Misty Montéville Alors notre politique de transition écologique, elle se décline sur 3 piliers, la sobriété énergétique, la décarbonation de nos activités (donc comment est-ce qu'on réduit nos émissions de gaz à effet de serre), et l'économie des ressources ou l'économie circulaire (donc comment est-ce qu'on limite au maximum la surexploitation des ressources naturelles ?, Comment on maximise le réemploi, comment on fait en sorte de de limiter la production de nos déchets ?). Bien sûr, les 3 enjeux sont liés, on retrouve les émissions de gaz à effet de serre partout et les 3 vont ensemble, mais c'est vraiment les 3 piliers sur lesquels repose notre politique de transition écologique. The Shifters 07:45 Alors nous allons essayer de rentrer un peu dans le détail de votre stratégie de transition écologique. Commençons par votre premier pilier, la sobriété énergétique. Avec un bâtiment de 57000m2 pour le musée d’Orsay et de 6 300 m² pour le musée de l’Orangerie qui datent tous les deux du XIXe siècle, j'imagine que le sujet de l’énergie ne doit pas être une mince affaire. Comment est-ce que vous l'avez abordé ?

Misty Montéville Alors la question de l'énergie, elle est en effet essentielle pour nous. Il faut se redire peut-être pour ceux qui n'ont pas en tête que le musée d'Orsay et le musée de l'Orangerie à l'origine étaient 2 bâtiments qui n'étaient absolument pas conçus pour être des musées : le musée d'Orsay une gare, et le musée de l'Orangerie était une orangerie, donc vraiment des bâtiments où quand on pense en termes d’efficacité énergétique, on est complètement à l'autre bout de de l'échelle. Après, c'est des enjeux qui étaient présents, notamment depuis l'ouverture du musée d'Orsay. Pour la petite anecdote, quand le musée d'Orsay a ouvert, il était doté d' un système de gestion technique centralisé qui en fait nous permet vraiment de piloter les consommations d'énergie quasiment en temps réel. Et on a ce qu'on appelle des pupitreurs, donc ce sont des personnes qui contrôlent en permanence les consommations d'énergie, les fluides et cetera, l'électricité, l'eau en faisant en sorte de piloter au mieux et du coup de permettre le moins de gaspillage possible. Nos bâtiments sont quand même très énergivores. Et on fait face à plusieurs contraintes qui sont évidemment la conservation des œuvres où on doit rester sur des plages de températures et de conditions d'humidité qui sont très précises et qui doivent très peu varier. Donc première contrainte, la conservation des œuvres. Ensuite, on reçoit du public, donc il y a aussi quand même ça à prendre en compte. On a des agents, donc évidemment il y a aussi les conditions de de travail, et enfin tout ça est dans un monument qui non seulement est une passoire énergétique dans sa conception mais en plus c'est un monument historique, donc ça veut dire qu'il y a beaucoup de choses qu'on ne peut pas faire puisque c'est un monument historique et qu'il faut donc le préserver. Donc aujourd'hui, on fait face à toutes ces contraintes, mais on essaye vraiment de travailler à améliorer notre performance énergétique et on a notamment remplacé tous les éclairages de la nef du musée d'Orsay entièrement par des LED. On a lancé un plan d'action sobriété énergétique en 2022 suite à la crise énergétique, on s'est fixé un objectif de réduction de nos consommations d'énergie de 25% d'ici à 2024 et de 40% d'ici à 2030.

The Shifters 10:41 Vous avez déjà mis en place certaines actions, est ce que vous avez pu constater quelques résultats ?

Misty Montéville Suite aux mesures qu'on a mises en place, notamment sur le pilotage des installations électriques, sur la réduction des éclairages, on a constaté déjà une baisse de 16% en 2022 par rapport à 2019 donc, ce qui est déjà un grand pas et en 2023, on en est à plus de 20% de réduction des consommations d'énergie par rapport à 2019, donc on constate déjà des grandes avancées et on sait qu'on atteindra notre objectif de réduction de 25% des consommations d'énergie en 2024 par rapport à 2019. Après, pour atteindre nos objectifs de 2030, il va falloir qu'on se lance dans de grands travaux qui vont avoir lieu dans les années à venir et sur lesquels on travaille déjà depuis plusieurs années et qui vont être notamment la refonte de l'accueil au musée d'Orsay et la refonte de l'accueil au musée de l'Orangerie. Au Musée d'Orsay. Notre plus grand problème, entre guillemets, en termes de consommation énergétique, c'est la marquise qui est un espace vitré, donc une vraie passoire énergétique. Et le but, c'est de rénover l'accueil de façon à ce que ça devienne plutôt une barrière énergétique et de façon à ce qu'on puisse vraiment réduire toutes nos consommations d'énergie, ce qui participera d'ailleurs aussi au confort d'accueil des visiteurs et des agents qui y travaillent. Ça va être des travaux importants qu'en plus on va devoir mener à musée ouvert, donc c'est tout un déploiement d'activités mais qui devrait nous permettre de réduire fortement nos consommations d'énergie.

Pause 12 : 33 The Shifters Prenons le temps de récapituler : le musée d'Orsay et le musée de l’Orangerie se sont engagés dans une transition écologique. Dans des établissements de cette taille, il a d’abord été crucial de bien organiser la gouvernance de la démarche. Notamment en rattachant le poste de chargé de responsabilité sociétale des organisations (RSO pour les intimes) directement à l’Administration générale, et en s’assurant de la présence de référents dans chaque direction pour faire remonter l’ensemble des problématiques et irriguer toutes les activités de l’EPMO. Un plan d’action a ensuite été structuré autour de trois piliers. Pour agir sur le premier pilier, celui de la sobriété énergétique, le musée d’Orsay et le musée de l’Orangerie se sont notamment appuyés sur une gestion centralisée des installations électriques, le développement d'éclairages LED et la réduction des consommations. Mais ce sont surtout les grands travaux prévus pour les prochaines années dans les accueils des musées qui devraient permettre à l’EPMO de réduire de 40% ses consommations énergétiques d’ici 2030. Revenons-en au deuxième pilier. Misty Montéville, après la sobriété énergétique, le 2e pilier de votre politique de transition écologique, c'est la décarbonation. Vous avez fait une mise à jour de votre bilan carbone en 2022, en utilisant les données de 2019, la dernière année avec des données fiables au moment de votre actualisation, est-ce que vous pouvez nous détailler les résultats de ce bilan carbone ?

14:00 Misty Montéville Alors notre bilan carbone sur les émissions de 2019, il s'élève à environ 4 millions de tonnes CO 2 équivalent, si on intègre les émissions du déplacement des visiteurs. Ensuite, si on rapporte les déplacements des visiteurs à leur durée de visite de musée d'Orsay et de l'Orangerie, ce qui est ce qu'on a choisi de faire dans notre bilan, on arrive à 125000 tonnes de CO 2 équivalent. Et enfin, hors déplacement des visiteurs, on en est à 9000 tonnes de CO 2 équivalent sur l'année 2019.

14:41 The Shifters Sans surprise, les déplacements des visiteurs, comme dans la plupart des structures culturelles, représentent votre plus gros poste d’émission de gaz à effet de serre. Et ce, en grande partie lié aux visiteurs qui viennent de l'étranger.

Misty Montéville En effet, nos visiteurs viennent de l'étranger, alors on a aujourd'hui une proportion qui devient un peu plus importante de visiteurs français. On a un léger changement, mais on reste quand même à une grande majorité de touristes étrangers. Ces touristes, pour venir en France, ils prennent l'avion le plus souvent, et ensuite ils viennent dans nos musées. Donc ça c'est un constat qui est partagé avec toutes les grandes institutions culturelles, notamment sur le territoire Francilien et notamment à Paris. C'est un enjeu dont on a conscience. C'est un enjeu sur lequel on doit travailler et on va travailler. On en discute notamment avec le ministère de la culture qui a aussi bien cet enjeu en tête. Après, ce sont des sujets qui concernent les stratégies de tourisme aussi à l'échelle de la ville de Paris, voire de l'État. Donc c'est des sujets complexes sur lesquels avancer. Il y a un axe d'action qui fait partie de nos priorités et c'est d'aller davantage vers un public local. Donc qui pour le coup sont des publics qui vont utiliser les transports en commun pour se rendre au musée. Après, notre problème, ce n'est pas le dernier kilomètre pour se rendre au musée. C'est comment est-ce que les touristes sont venus jusqu'en France…

The Shifters 16:27 Et oui, d’autant que les touristes étrangers représentent une part importante de votre fréquentation, est-ce que vous pouvez nous en rappeler la proportion et les enjeux que leur visite recouvre ?

Misty Montéville En 2022, on a une proportion de touristes étrangers qui est la plus importante. De mémoire, c'est 60% de touristes étrangers. On parle des publics étrangers, ce qui est intéressant et important aussi à noter, c'est qu'évidemment il y a cette question économique. Il faut savoir que les musées d'Orsay et de l'Orangerie, on est financé en très grande partie par nos ressources propres. Donc ça veut dire qu’on a des subventions de l'État. Mais ce n'est pas ça qui représente la plus grosse part de notre budget. Ce qui représente la plus grosse part de notre budget, ce sont notamment les recettes de la billetterie. Ce sont aussi des choses comme la part que l'on reçoit sur les produits que l'on vend en boutique, sur nos restaurants, etc. Peut-être aussi intéressant à noter parce qu'on ne l'a pas toujours en tête, mais nous, dans nos publics, on a environ 30% des publics qui viennent gratuitement au musée. Et ça, c'est vraiment important, il faut qu'on garde toute cette ouverture gratuite au public d'ailleurs, notamment des publics franciliens, puisque ça va être les publics scolaires notamment, mais pas que ça. Donc comment pouvoir garder cette part du public gratuit ? Ca vient aussi par des entrées des publics étrangers qui vont dépenser concrètement dans nos musées. Donc quand on parle de réduire les publics étrangers, il faut aussi se dire que ça a un coût financier pour le musée.

The Shifters 18:28 Comme pour la plupart des structures culturelles, le déplacement des publics est un sujet complexe, on y reviendra à la fin de cet épisode. Poursuivons tout de même la découverte de votre bilan carbone. Est-ce qu’il y a des résultats qui au contraire vous ont étonné ?

Misty Montéville C'était intéressant de constater qu'on avait une proportion significative de nos émissions sur ce qui concerne les produits vendus en boutique et l'alimentation. Mis ensemble, c'est à peu près 20% de notre bilan carbone, hors déplacement des visiteurs. Et ça, c'est quelque chose qu'on n'avait pas forcément en tête. Sans surprise, sur l'alimentation, c'est évidemment la question de la viande qui représente une forte proportion du bilan carbone. Pour les boutiques, c'est évidemment la provenance des produits.

The Shifters 19:30 Comment vous avez approché la décarbonation de ces postes boutiques et alimentation ?

15:54 Misty Montéville On a choisi de commencer par une action symbolique mais forte au sein de notre cantine. Jusqu'à présent, tous les jours on servait de la viande et du poisson et on avait une fois par semaine une option végétarienne. Aujourd'hui on a une alternative végétale, donc des protéines végétales tous les jours à la cantine. Ce qui veut dire qu'on réduit les quantités de viande et de poisson qui a aussi une émission de gaz à effet de serre non négligeable. L'idée c'était d'opérer une transition en douceur puisqu'on n'a pas supprimé la viande et le poisson à la cantine. Mais de simplement proposer une alternative végétale et de permettre aux agents de découvrir aussi des nouveaux plats et une nouvelle façon de manger qu'on n'avait pas forcément testé. Alors après, il faut savoir que sur ces enjeux, on travaille avec des concessionnaires. Donc ce sont des entreprises qui gèrent à la fois les restaurants, les cafés qu'on a au sein de nos musées et les boutiques. Donc on a évidemment un droit de regard et de discussion avec ces entreprises sur l'offre qui est faite au sein de nos musées, mais on n'est pas les seuls décisionnaires. Mais du coup, on travaille là actuellement avec eux à aller vers une offre qui soit bien moins carbonée. Après, évidemment, il y a des obstacles. Sur les boutiques par exemple, on essaie de travailler sur les produits pour que ce soit fait davantage en France ou au moins en Europe. Après il y a des questions de savoir-faire. Beaucoup de de questions qui se posent là-dessus aussi sur le choix des produits qui sont proposés en boutique, etc.

The Shifters 21:22 Pour qu’on ait les ordres de grandeur en tête, à quel point ce sujet est-il central pour votre activité et pour votre bilan carbone ?

Misty Montéville Si on utilise la méthodologie de l'ADEME pour les bilans carbone, en fait notre plus fort, le plus gros poste d'émission, ce sont les achats. Après cette méthodologie, elle peut aussi être biaisée parce que c'est basé sur des estimations financières, etc. Donc les achats, c'est vraiment l'un des plus gros leviers d'action pour tout établissement public. Aussi parce que bien sûr, la commande publique, ça représente un marché énorme et que si tous les établissements publics commencent à avoir des exigences environnementales bien plus fortes… évidemment, en fait, les entreprises vont répondre à cette demande en s'adaptant. On n'a aujourd'hui le droit, (et c'est en fait assez récent dans la commande publique), de placer des critères environnementaux. Et d'ailleurs il y a aussi un plan national d'achat durable. Donc l'idée est que, à terme, d'ici à 2025, 100% des marchés publics comportent une clause environnementale. Ce n’est vraiment pas facile. Peut-être un exemple intéressant, c'est qu’on ne peut pas mettre ce qu'on appelle le critère local. Parce que là, ce serait porter atteinte aux règles de la concurrence. Ce qui est bien dommage parce qu'évidemment, si on choisissait des candidats plus proches de nous, forcément il y aurait moins de déplacements, donc moins d'émissions de gaz à effet de serre. Pour nous aider là-dessus, on va bientôt lancer un appel d'offre pour une assistance à maîtrise d'ouvrage, une AMO, pour justement nous aider à mettre des critères environnementaux précis dans nos marchés, avec notamment des critères carbone.

The Shifters 23:05 On parle des résultats de votre bilan carbone, un élément dont on n'a pas encore discuté, c'est ce qui touche au cœur de vos missions : les expositions. Quelle place elles ont dans votre impact environnemental ?

Misty Montéville Alors les expositions, ça représente quand même un poste significatif dans notre bilan carbone, sachant que là on parle seulement des prêts d'œuvres, donc du transport des œuvres à la fois vers nous, quand on fait des expositions temporaires, mais aussi des prêts que nous on fait pour d'autres musées, donc ça va dans les deux sens. Le transport des œuvres, les convoiements, parce que, évidemment, quand une œuvre voyage, elle est accompagnée par un convoyeur. Quand l'œuvre arrive, le convoyeur va repartir. Donc y a aussi un double aller-retour parce qu'il va aussi aller chercher. Donc ça les convoiements, transport d'œuvres, et la production des scénographies, qui représentent un impact carbone moindre, mais qui en termes de consommation de ressources naturelles est assez importante. Donc en prenant simplement ces 3 postes, transport d'œuvres, convoiement, scénographie, on arrive à presque 10% de notre empreinte carbone, donc ça reste quand même significatif, toujours en enlevant le déplacement des des visiteurs.

The Shifters 24:26 Comment est-ce que vous essayez d'agir sur ce poste, les expositions, tout en continuant à remplir pleinement vos missions de musée ?

Misty Montéville Il y a notamment en phase de conception des expositions, on fait des listes d'œuvres, donc ça veut dire que les conservateurs conservatrices vont constituer une liste des des œuvres à faire figurer dans dans l'exposition. Aujourd'hui, une liste d'œuvres est liée à un budget. On va donc estimer le budget que nécessiteront le transport de ces œuvres pour les faire venir pour nos expositions. Et là, pour la première fois, on a aussi commencé à demander à nos transporteurs d'évaluer l'empreinte carbone que représenterait le transport de ces œuvres, ce qui nous permet ensuite d'avoir, associé à cette liste de de souhaits, des œuvres qu'on souhaiterait avoir dans l'exposition, et d'avoir une idée non seulement de combien ça va coûter, mais surtout de combien ça va coûter en terme d'empreinte carbone.

The Shifters 25:30 Cette réflexion sur le transport des œuvres, c’est pour la partie décarbonation de vos expositions. Vous avez un troisième pilier dans votre démarche de transition écologique, qui vous permet cette fois d’envisager plus largement l’impact environnemental de vos expositions. Pouvez vous nous expliquer ce que vous voulez dire par “économie circulaire” ou “économie des ressources” ?,

Misty Montéville Alors quand on parle d'économie circulaire ou économie des ressources, il y a un gros axe d'action qui est extrêmement important pour nous en tant que musée et qui est celui de l'éco conception des expositions. Donc comment est ce qu'on fait en sorte aujourd'hui, quand on conçoit une exposition, de réemployer au maximum du mobilier qui existe déjà, des matériaux qui existent déjà ? Et comment est ce qu'on fait en sorte que en fin de vie d'exposition, ces mobiliers, ces matériaux puissent être réutilisés chez nous en interne, à l'idéal et au minimum donner à d'autres institutions. Donc aujourd'hui, on a beaucoup progressé ces dernières années sur cet axe. Par exemple aujourd'hui, on a déjà testé depuis 2022 des cimaises réutilisables. Donc ce sont des cimaises qu'on peut réutiliser sur plusieurs expositions, qu'on a testées notamment avec l'exposition MOOC en octobre 2022. Donc ça, c'est des cimaises qu'on peut réutiliser sur 3 ou 4 expositions. Aujourd'hui, on va plus loin et on a commencé à tester des cimaises avec une ossature en acier, donc ça devient un petit peu plus technique. Mais l'idée, c'est d'avoir une ossature en acier et non en bois, ce qui permet de vraiment maximiser la réutilisation possible. Et donc là, plutôt que de parler d'une réutilisation sur 2 ou 3 expos, donc un ou 2 ans, on irait idéalement jusqu'à 25 ans de réutilisation des mêmes cimaises. Avec l'idée de constituer un parc de ces cimaises pérennes qu'on puisse ensuite réutiliser sur toutes les expositions à venir. Aujourd'hui, on a fait un premier test. Pour l'instant, le test est concluant. Donc l'idée est de commencer à développer ce parc de nouvelles cimaises.

The Shifters 27:43 Alors, tout ceci concerne les expositions c'est-à-dire la partie visible pour le public de vos missions, une partie de vos activités que l’on perçoit moins en tant que visiteurs c'est tout ce qui concerne vos collections. Au-delà des trois piliers de votre démarche que l’on vient d’évoquer, vous avez également décidé de mener un travail sur la gestion durable de ces collections. Est-ce que vous voulez bien nous décrire les trois volets de ce projet ?

Misty Montéville Le premier, ce sont les conditions de conservation des œuvres. Le 2e axe, c'est tout ce qui est notre politique de prêt responsable. Et enfin, le 3e axe d'action, qui est celui de l'éco-conditionnement des œuvres dans le cadre de la circulation des œuvres. Comment est-ce qu'on fait en sorte de choisir des matériaux que l'on puisse réemployer au Maximum. Ce travail sur la gestion durable des collections sur lesquelles on a déjà commencé à avancer en lien avec l'ensemble des conservateurs, des conservatrices -ça c'est important aussi parce qu'il faut vraiment embarquer tout le monde dans cette démarche-. Et l'objectif c'est de l'inscrire dans notre projet scientifique et culturel. -PSC de son petit nom- donc de faire de cette question de la gestion durable de nos collections, donc de la prise en compte de l'impact écologique dans la gestion de nos collections, d'en faire un axe de notre projet scientifique et culturel, ce qui n'est pas le cas dans notre PSC actuel. Et ça, ce sera un pas important.

The Shifters 29:16 Plusieurs pas à franchir donc dans les prochaines années. On l'a vu, vous développez aujourd'hui des mesures sur plusieurs axes, celui de la sobriété énergétique, de la décarbonation, de l'économie circulaire, et puis de façon plus spécifique, de la gestion durable de vos collections. Avec toutes ces actions, quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés en termes de réduction de votre impact pour les prochaines années ?

Misty Montéville Aujourd'hui, la cible vers laquelle on souhaite tendre, c'est une réduction de 30% de nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, en partant sur la référence 2022.

The Shifters 29:52 On le rappelle, en 2022 vous aviez actualisé votre bilan carbone, en utilisant les données de 2019, qui était l’année complète dont vous disposiez à ce moment-là. Quand on parle de trajectoire ici, pour qu’on comprenne bien, sur quel total vous basez-vous puisque vous aviez utilisé plusieurs méthodes ?

Misty Montéville On se base sur le chiffre des 9000 tonnes de CO 2 équivalent, donc hors déplacement des visiteurs.

The Shifters 30:16 En prenant ce chiffre, pour celles et ceux qui n’auraient pas leur calculette sous la main : petit calcul, avec un objectif de réduction de 30% cela veut dire que le musée d’Orsay et le musée de l’Orangerie souhaitent passer de 9000 tonnes à 6300 tonnes équivalent Co2. Misty, quelles vont être les prochaines étapes de l’EPMO pour atteindre cet objectif ?

Misty Montéville Aujourd'hui, la prochaine étape, ça va être de lancer un nouvel accompagnement pour nous aider à mettre en place un plan d'action chiffré et aussi -surtout même peut-être- nous aider à mettre en place des outils de suivi de cette trajectoire. Parce que, c'est pas le tout de se dire : on veut atteindre cet objectif, mais il faut aussi qu'on soit capable, nous, de pouvoir suivre. Justement, est-ce qu'on est en train d'atteindre cet objectif ? Et au-delà du suivi, on souhaite aussi pouvoir mettre en place des outils d'aide à la décision qui nous aident ensuite à visualiser, à chiffrer même l'impact carbone qu'auront certains de nos choix.

The Shifters 31:20 Évidemment, on l'aura compris en évoquant les résultats de votre bilan carbone, et en entendant les différents ordres de grandeur, l’un de vos principaux enjeux restera celui du transport des visiteurs. À défaut d'avoir la solution pour agir aujourd’hui complètement et directement sur les déplacements de vos publics, vous essayez, je crois, d'agir sur leur prise de conscience. D'autant qu'avec un établissement comme le vôtre, l'impact peut être important. Quelles actions avez-vous essayé de développer ?

Misty Montéville Alors la question de la sensibilisation des publics aux enjeux écologiques, elle est extrêmement importante pour nous. On en a déjà parlé, cette question du rôle du musée dans la société, et de bien-sûr répondre à ces enjeux qui nous concernent toutes et tous. Donc ça, ça vient à la fois sur la présentation de nos collections, mais ça passe aussi par de nouveaux dispositifs et notamment dans notre programmation culturelle. On a développé récemment un nouveau format que l'on appelle une “genesart” donc, qui sont des soirées en nocturne, qui s'adressent principalement à un public un peu plus jeune. Pour lancer cette série d'événements, on a choisi le thème de l'écologie, et on a choisi d'inviter un collectif de danseuses engagées qui s'appelle le collectif minuit 12, qui ont créé une performance spécialement pour l'occasion et qui l'ont fait dans la nef du Musée d'Orsay. Et on a choisi aussi d'inviter une militante écologiste, Camille Étienne. Avec l'idée de permettre de donner la parole aussi à ces militants dans l'enceinte de nos musées. Et ce qui était intéressant, c'est que cette performance artistique et ces discussions qui en ont découlé, elles étaient axées au départ sur des œuvres qui sont dans nos collections et qui sont notamment de l'école de Barbizon… qui sont en lien finalement d'autres militants écologistes du 19e siècle qui à l'époque protestaient pour la forêt de Fontainebleau. Donc l'idée, c'est aussi de faire le lien entre les luttes qui existaient déjà au 19e siècle et les crises auxquelles on fait face aujourd'hui, et de montrer le lien de nos collections avec ces enjeux.

The Shifters 33:40 Merci à Misty Montéville pour le temps qu’elle nous a accordé. On le rappelle, cet entretien a été enregistré en 2023, depuis la démarche de l’EPMO a connu quelques évolutions. Ce qui reste d’actualité en tout cas c’est que ... Rôle et mission du musée

Les musées sont aujourd’hui traversés par un certain nombre de questionnements à l’aune de la crise climatique en cours. Comme en témoignent le musée d’Orsay et le musée de l’Orangerie qui n’hésitent pas à réinterroger leurs missions et leur fonctionnement.

L’adoption en 2022 par le comité international des musées, l’ICOM, d’une nouvelle définition du musée qui introduit la notion de durabilité fait largement écho à cette nécessaire introspection et réinterroge le rôle du musée au sein d’une société en prise avec de multiples et profondes évolutions/mutations.

Risques à venir

Si le musée doit encourager la durabilité, ce n’est pas seulement pour des raisons désintéressées. Comme le souligne Misty Monteville, les risques anticipés directs et indirects du dérèglement climatique seront particulièrement impactants et pourront affecter physiquement les collections, par exemple en cas d’aléas climatique du type crue, ou affecter économiquement son fonctionnement, par manque de ressources propres induites par exemple par la diminution des flux de touristes internationaux.

Mise en action

Ainsi, l’EPMO se saisit de ces enjeux en essayant de prendre sa part dans ce que la transition écologique exige : réduction des consommation énergétique, décarbonation, sobriété dans l’usage des ressources. Le musée d’Orsay et le musée de l’Orangerie répondent par une approche globale et un plan d’action structuré qui se matérialisent par des actions de différentes portées :

-Les actions de petit pas mais qui ancrent le changement : les menus végétariens à la cantine -Les actions de fonds, en travaillant avec les correspondants métiers qui sont confrontés à une transformation profonde de leur métier et revoient leurs pratiques professionnelles -Et au-delà à travers des actions de long terme au rang desquelles figurent les travaux sur le bâtiment classé Monument Historique.

C’est grâce à la diversité et à la pluralité de ses mesures que le musée d’Orsay et le musée de l’Orangerie souhaitent assurer l’atteinte des objectifs qu’ils se sont fixés. Mais est-ce suffisant ?

Mobilité des publics

Si l’on tient compte des efforts en termes de décarbonation, l’objectif est ambitieux -30% d’ici 2030 et aligné sur la stratégie nationale bas carbone, mais cet objectif ne s’applique qu’au périmètre hors déplacements des publics.

Si cette question est particulièrement complexe, elle demeure pourtant vitale pour le musée de demain. Il ne s’agit pas ici de savoir si l’EPMO parviendra à décarboner suffisamment son organisation, mais plutôt de savoir comment financer le manque à gagner pour l’ensemble des musées dépendants des flux touristiques carbonés de la mondialisation tout en restant ouvert au plus grand nombre possible. Comment dans ce contexte assurer la préservation des collections, dont les coûts d’entretien vont s'accroître dans un monde sous-contrainte ? Cette question dépasse largement l’organisation et doit faire l’objet d’un débat démocratique urgent.

Dans ce contexte, il est éminemment important que le musée continue d’entretenir les liens qui le lient à ses publics, soutienne la coopération entre musées et redouble d'efforts pour garantir son exemplarité.

Le musée d’Orsay et le musée de l’Orangerie montrent une voie possible, une voie qui doit continuer de nous inspirer vers le chemin d’un musée soutenable et accessible à tous ….

Le Podcast “Décarbonons la culture” est réalisé par les shifters, les bénévoles du Shift Project. Ce think tank a un objectif, faire progresser les débats et les actions pour une économie post carbone, un monde libéré des énergies fossiles et préservé du réchauffement climatique. Décarboner la culture, c'est lui permettre de garder la place qu'elle a dans nos vies. Vous pouvez retrouver l'ensemble des témoignages sur le site décarbonons la culture.fr. A très bientôt pour d'autres initiatives inspirantes.

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Fiche d'identité de l'initiative

Mise en œuvre :2023Structure :Musée d'Orsay et de l'OrangerieInterlocuteur :Misty MONTÉVILLEThématiques :
tranversalmusées et patrimoinesensibilisation-formationIle-de-Francelieux

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